Sous la robe... la femme.
En plein mois d’août 1997 , une chaleur certaine, j’étais arrivée la veille de Paris, pour occuper le poste d’assistante technique
« justice » à l’Ambassade de France et pour assister le nouveau Directeur de l’Ecole de la Magistrature Haïtienne. Je logeais avec mon compagnon Arthur chez mon collègue François Semur qui était en vacances. J’avais été accueillie par un conseiller de l’Ambassade de France et je venais de prendre mes fonctions. L’Ecole m’a fait tout de suite bonne impression. Dans un grand parc arboré, de petits bâtiments espacés, une belle pelouse avec des fleurs, une entrée impressionnante où les voitures passaient devant chaque petit immeuble en faisant un tour complet autour d’une pelouse. Assez grandiose pour Haïti où les arbres se font rares en ville. Quelques poules par-ci, par-là. Un gardien à l’entrée qui me demande qui je suis et qui me laisse entrer. Gaspard, mon chauffeur haïtien conduisait la 405 de fonction. J’aperçois un bâtiment où il était inscrit administration. Je dis à Gaspard : je vais entrer là. J’avais prévenu le Directeur Willy Lubin de mon arrivée à Port-au-Prince et de ma visite.
J’entre et je vois deux secrétaires, l’une très avenante, Sonia qui vient m’accueillir et l’autre, Magali, plus réservée qui reste à son bureau en me disant "bonjour Madame". Sonia me dit de patienter et qu’elle va prévenir le Directeur. Je vois alors Willy venir me chercher, tout de blanc vêtu. Un homme moins de la quarantaine, mince, élégant, des yeux vifs, très protocolaire.
-Bienvenue, Madame la juge, mais cela va être difficile pour vous, je n’ai qu’une chaise à vous proposer, ni bureau, ni téléphone. Nous n’avons encore rien !
- Pas de problème je vais m’occuper du matériel avec l’Ambassade . Dites moi ce dont vous avez besoin.
- Sonia tu es la liste du matériel ?
- Oui Docteur, je vous l’apporte.
Elle l’appelait Docteur, pourquoi ? probablement parce qu’il est Docteur en Droit...oh là là, le protocole !
Je demande à Willy où ils en sont et comment puis je les aider.
- Nous préparons le concours de recrutement pour la première promotion d’Elèves magistrats et les épreuves écrites ont lieu à la fin de la semaine dans les 5 cours d’appel du pays : Gonaïves, Hinche, Cap-Haïtien, Les Cayes et Port-au-Prince.
- Avez-vous des surveillants ?
- Oui, quelques-uns.
- Et les sujets ?
- Je les ai préparés.
Un peu bref dans ses réponses …
- On pourrait discuter de l’organisation ?
- C’est la MICIVIH ( (Mission Civile des Nations Unies en Haïti en place depuis 1994 après le coup d’état militaire) qui va nous aider à acheminer les sujets et qui nous rapportera les copies. Notre bureau ira à Gonaïves , mais je pense que vous ne tenez pas à aller en province, la route est longue et difficile.
- Mais pas du tout, je tiens absolument à venir avec vous. Peu importe l'état de la route. Je serai avec vous.
- Ah bon, C’est comme vous voulez.
Pas très encourageant ce cher Willy ! Il fallait mettre un peu de bonne humeur ! je demande à téléphoner à l’Ambassade pour le matériel. Et j’essaie d’engager la conversation avec Sonia, qui me dit qu’elle est mariée à un dominicain, qu’elle a un petit garçon de trois ans et qu’avant elle avait un petit restaurant à Delmas (un quartier de Port au Prince).
Les trois autres jours se sont passés en achat de mobiliers, mise en place de mon bureau, quelques échanges avec Willy et le départ pour Gonaïves fixé pour le jeudi matin 5H.
Le jeudi matin 5H je retrouve l’équipe de direction à l’EMA et nous partons à deux voitures pour Gonaïves. Environ 6H de route. On passe les faubourgs nord de Port-au-prince, très encombrés. Voitures, carrioles à cheval, bus, taps-taps, de petits étals sur la route vendant de tout, des hommes pliés en deux par la charge d'énormes sacs, des vendeurs d’eau et de jus, des vendeuses de tomates, de fruits tout le long de la route. Je demande quelques explications à Gaspard qui me raconte un peu la vie haïtienne, les difficultés du peuple…
Vers 7h30 on s’arrête pour le petit déjeuner à la Haïtienne dans une petite échoppe. Le choix : spaghetti à la tomate, maïs moulu harengs, omelette complète. Je commande une omelette complète qui est très bonne et les autres se délectent des autres plats. Je demande à goûter dans leurs assiettes. Très étonnés ils me tendent leurs plats et je prends quelques bouchées . C’était délicieux et je m’extasie : C’est super bon, j’adore , je ne connaissais pas. Et là des sourires, ils sont contents que j’apprécie leur nourriture ! Un bon point pour moi. Ouf, il est plus agréable de sympathiser.
Nous repartons dans nos voitures et le paysage défile devant nous. La côte des Arcadins, de magnifiques plages avec quelques hôtels au bord de l’eau : Moulin sur mer, et le Club Med … Mon esprit s’évade un moment : comment le Club Med peut-il survivre dans un pays qui m’a l’air si pauvre ? Quels touristes reçoit-il ? Les haïtiens y vont-ils ? Je reste avec mes questions, je saurai plus tard. Une mer bleue soutenue avec des taches turquoises par endroits et en face, à quelques encablures : l’île de la Gonave. Majestueuse avec ses toutes petites embarcations et un ou deux pécheurs. Puis nous traversons Saint-Marc, une petite ville avec un marché époustouflant des deux côtés de la route, avec toutes sortes de fruits et légumes, pièces détachées, meubles, vêtements, chaussures, pneus, poissons, viandes, le tout étalé en plein soleil. Des marchands de boissons et de "papitas". Ce sont des bananes plantains coupées en longueur, frites et salées. Je demande à en acheter. C’est délicieux, ce sont des chips mais de bananes. Cela deviendra pour moi une habitude, dès que nous faisions un voyage, Gaspard m’achetait toujours ces " papitas" !
Entre Saint-Marc et Gonaïves , la steppe, des herbes sauvages, quelques cactus, des ânes, des paysans déguenillés, marchant solitaires ou deux par deux, un soleil de plomb, Gaspard me dit que cette partie de route, est nommée la "savane désolée". Nom parfaitement adapté !
Nous arrivons enfin à Gonaïves après 7H de route chaotique. La ville est quelconque, un centre-ville tout petit avec une église et quelques bâtiments corrects et le reste de la ville avec des bicoques de bois, de fer, de boue, proches les unes des autres. Quelques rares villas tranchent avec la pauvreté qui règne dans cette ville.
Nous arrivons dans notre hôtel assez modeste et nous allons nous reposer un peu avant d’aller à la Cour d’Appel pour mettre en place tables et chaises pour l’examen du lendemain.
La Cour d’Appel est assez grande avec des salles d’audience et nous visitons également le tribunal qui n’est pas loin. Nous réunissons tous les magistrats pour expliquer, de vive voix, notre mission et les rassurer en précisant que ce concours ne vise pas à les décharger de leurs fonctions mais à mettre en route une nouvelle magistrature, mieux formée qui viendra les aider et les soutenir. Difficile à faire comprendre car les magistrats du siège et du parquet sont nommés au gré du pouvoir politique et peuvent être révoqués par une simple lettre. Chacun craint pour son poste !
Nous mettons en place les salles d’examen, nous sommes aidés par du personnel de la MICIVIH qui est sur place. Tout semble en ordre pour le lendemain. Nous allons diner dans un petit restaurant et allons nous coucher.
Mon compagnon Arthur est avec moi, il a tenu à m’accompagner pour le premier mois. Il est guadeloupéen, comptable à la fac de sciences à Pointe-à-Pitre et parle créole. Nous nous allongeons sur notre lit et là pendant deux heures nous entendons des prières et des chants religieux. Assez beaux, une forte voix chaude, et je crois reconnaître la voix de Gaspard. Effectivement le lendemain Gaspard m’informe qu’il est pasteur évangéliste…
Les épreuves se passent bien, il y a environ 40 candidats pour Gonaïves : deux épreuves écrites, une de culture générale et une dissertation juridique. Entre les deux épreuves, on sert aux candidats un poulet riz bananes pesées, pour qu’ils puissent se restaurer. C’est l’habitude de servir un repas, car les étudiants viennent parfois de loin et n’ont pas forcément de l’argent pour se nourrir.
Les épreuves se déroulent à la même heure dans les quatre autres Cour d’Appel du Pays et les copies seront toutes acheminées dans les deux jours qui suivent à l’EMA par le personnel de la MICIVIH.
J’ai appris beaucoup sur la vie haïtienne pendant ces deux jours. Mon baptême du feu. L’atmosphère s’est détendue entre la direction et moi. Plus de ton protocolaire, on se parle simplement par nos prénoms et on se tutoie. Ouf, c’est plus sympa. Au fil des jours une réelle amitié naîtra entre Willy et moi.